11 juin 2009

Les Inaudibles

"Les mélanges culturels post-coloniaux du Nord sont également enchevêtrés dans les modes de production du capitalisme global et reproduisent par conséquent, les pentes existantes du pouvoir dans le contexte de la distribution internationale du travail.
L'inégalité sociale est codée comme différence culturelle ou même comme déficience, et du coup, elle est rendue invisible.
Cette reproduction constante d'une inégalité culturalisée forme la loi du " développement inégal " du capitalisme global.
Les hiérarchisations eurocentriques des contextes post-coloniaux variés reproduisent ainsi les mécanismes culturo-racistes de l'exclusion, qui pour leur part constituent un élément structurel fondamental des formes capitalistiques globales d'utilisation et/ou d'exploitation.

Nous devons dans ce sens non seulement demander :
" Le subalterne sait-il parler ? " mais aussi :
"Et s'il s'exprime depuis des siècles, alors pourquoi personne n'écoute ?"

Hito Steyerl
(mai 2002)

9 juin 2009

Les Européennes

"Parfois nous semblons attribuer aux gens à la peau foncée — africains autant qu’afro-américains — toutes les notes, tous les timbres et rythmes "sales- et-vilains-mais-agréables", lesquels nous imaginons que quelque mystérieux "notre-père-blanc-qui-est-en-Europe-que-son-art-soit-sanctifié" nous ait interdit de produire (nous, misérables, insignifiants, carrés et européens).

Nous pensons même, grâce aux falsifications historiques de ce personnage paternel — pour les raisons encore inconnues auxquelles nous semblons encore croire — , que les gens de notre teinte maladive n’ont jamais produit aucune note, aucun timbre ou rythme "sale-et-vilain-mais-agréable et que nous (petits blancs refoulés et asexués, tels que nous sommes supposés être) ne pouvons avoir joué aucun rôle majeur à la création de tous ces sons «immoraux » (mais agréables) sur lesquels on groove actuellement.

Non : nous préférons croire que nous n’avons que les gens de descendance africaine à remercier, ou à reprocher, pour chaque once de musique « immorale » que nous apprécions.

Il y a, en d’autres mots, le risque que notre projection massive du « défendu », qu’il soit jugé bien ou mal, sur les peuples noirs d’origine africaine, nous nous embarquions dans le même genre de processus de projection tel que décrit dans le cas de mon ancêtre fictif.

En nous défaisant de toute responsabilité face à notre propre corporalité musicale, nous forçons le peuple noir à jouer le rôle absurde du "house nigger".

Nous utilisons la musique que nous ne croyons avoir, dans notre ignorance, rien en commun avec les traditions européennes musicales, comme panacée corporelle contre nos propres problèmes de subjectivité et d’aliénation.

C’est peut-être pour cette raison que certains d’entre nous sont déçus lorsque les artistes noirs ne correspondent pas au stéréotype comportemental que nous attendons d’eux, si on ne voit pas un tortillement constant du derrière, si on n’entend pas d'argot, etc..."


Philip Tagg
"Lettre ouverte à propos des musiques "noires", "afro-américaines" et "européennes"
(mai 1987)